L’influence de mes biais cognitifs sur ma décision ?
Lorsque vous prenez une décision, que celle-ci ait un impact pour les prochaines années de votre vie ou bien qu’il s’agisse simplement du choix de ce que vous allez manger à midi, êtes-vous tout à fait certain·e de choisir de façon rationnelle ? Vous me direz forcément que cela dépend de l’importance de ce choix et de son impact à long terme. Pourtant, toutes ces décisions sont soumises à nos biais cognitifs qui influencent nos jugements. En prendre conscience, c’est déjà les mettre à distance.
Un biais cognitif peut se définir comme « une organisation de pensée trompeuse et faussement logique, dont la personne s’accommode pour prendre position, justifier des décisions, ou encore interpréter les événements. »1. Parmi les plus de 250 biais ayant été répertoriés2, nous en présenterons quelques-uns, applicables dans la vie de tous les jours ou bien spécifiquement à la question écologique.
Des biais qui influencent chacune de nos prises de décisions
L’effet de réactance : « Le confinement, le masque et maintenant le vaccin obligatoire… c’est le gouvernement qui veut nous contrôler ! ». Durant le Covid, vous avez très certainement entendu ou même prononcé cette phrase qui illustre parfaitement l’effet dont il est question ici. Il s’agit d’un mécanisme de défense psychologique mis en œuvre par un individu qui tente de maintenir sa liberté d’action lorsqu’il la croit ôtée ou menacée. Cet effet peut aussi être observé lorsque certaines politiques se trouvent dans une logique restrictive comme par exemple restreindre les déplacements aux véhicules les plus polluants ou encore restreindre l’utilisation de l’eau en période de fortes chaleurs. Ces restrictions peuvent ainsi avoir un effet néfaste sur les comportements des individus, alors que leurs objectifs en réalité sont plus positifs.
Le biais d’optimisme comparatif : « Combien de fois avez-vous entendu la fameuse phrase « Je pensais que ça n’arrivait qu’aux autres ! » ? Le biais d’optimisme comparatif, c’est le fait de penser que des évènements négatifs arrivent probablement plus aux autres qu’à nous-même. On oublie facilement que les autres, ça peut aussi être nous. Si vous fumez, vous pouvez avoir tendance à vous dire qu’une maladie liée au tabagisme vous arrivera possiblement moins qu’à quelqu’un d’autre alors qu’il n’existe aucune réalité statistique derrière cette perception.
Le biais d’inertie : « Ça marche bien comme ça, donc pourquoi je ferais autrement ? ». Le biais d’inertie consiste à résister à un changement, ou avoir une nouveauté comme quelque chose de trop coûteux. Ainsi, arrêter de fumer peut-être perçu comme un comportement trop coûteux ou trop difficile à mettre en place par rapport au fait de continuer, et ce malgré les risques pour la santé. Pour s’ajuster, le biais d’optimisme comparatif peut alors s’enclencher.
Le biais de confirmation : « Il fait 20° dehors alors qu’on est en juin, c’est bien la preuve que le réchauffement climatique n’existe pas ! ». Si vous avez déjà pensé de cette manière, c’est que vous étiez très certainement dans un biais de confirmation. Ce biais consiste à ne sélectionner que les informations qui confortent notre avis déjà établi. En matière de comportements écologiques, si vous êtes climatosceptique (pas vous directement, si vous êtes en train de lire cet article, c’est que ce n’est très probablement pas le cas !), le fait de voir qu’il pleut ou qu’il fait froid en été aura tendance à vous conforter dans l’idée que le changement climatique n’existe pas.
Le biais de représentativité : « Les transports en commun, c’est vraiment pas pratique, la dernière fois, j’ai dû attendre mon bus pendant une heure parce qu’il était en retard ! ». En prononçant cette phrase, vous émettez un jugement général négatif uniquement à partir d’une mauvaise expérience personnelle, en occultant toutes les autres fois où le bus a certainement été à l’heure sans que vous ne le sachiez. C’est un raccourci mental qui consiste à porter un jugement à partir de quelques éléments qui ne sont pas nécessairement représentatifs.
Le biais d’engagement : Lorsque vous attendiez votre bus qui avait une heure de retard en vous disant qu’il allait bientôt arriver, vous vous êtes sûrement dit que vous auriez mis deux fois moins de temps pour rentrer chez vous à pieds sans pour autant opter pour cette solution. Il s’agit ici de prendre des décisions allant dans le sens d’une décision initiale, et ce même si cette décision initiale a conduit à un échec. Ce qui se joue à ce moment, c’est que vous avez pris une décision initiale et qu’il devient très difficile de la remettre en cause au fur et à mesure que vous attendez, car cela vous mettrait face à votre mauvaise décision première.
Le biais de surconfiance ou effet Dunning-Kruger : Au travail, vous avez un nouveau collègue qui vient d’arriver dans votre service et celui-ci n’arrête pas de remettre en cause votre manière de travailler : « Pourquoi tu ne classes pas tes dossiers de cette façon ? Pourquoi tu ne réponds pas à ces mails d’abord ? ». Votre collègue se trouve ici dans un biais de surconfiance. C’est une surestimation de ses connaissances ou compétences dans un domaine, car on n’a pas conscience de ce qu’on ignore encore.
L’effet de cadrage des informations : Si je vous pose la question suivante : « Est-il important de diminuer sa consommation de viande ? », votre réponse s’orientera certainement soit vers un oui, car c’est positif pour l’environnement ou le bien-être animal ou bien vers un non, car ce serait trop coûteux pour vous et que ça aurait trop peu d’impact à l’échelle globale. En revanche, votre réponse serait sûrement bien différente si je vous demandais « Pourquoi il est important de diminuer sa consommation de viande ? ». En effet, cette seconde formulation propose un cadre davantage orienté, fermant davantage le débat concernant l’importance ou non d’adopter ce comportement. Vous êtes ainsi influencé·e par la manière dont est présentée une information.
L’erreur fondamentale d’attribution : « Celui-là, c’est vraiment un fou ! » vous êtes-vous déjà exclamé·e lorsque sur l’autoroute, vous êtes dépassé·e par une voiture roulant à plus de 150 km/h. Pourtant, comment pouvez-vous être certain·e que cette personne ne conduit pas ainsi en raison d’une urgence médicale par exemple ? Si vous-même deviez adopter ce comportement, ne le feriez-vous pas pour de bonnes raisons qui dépassent votre seule volonté ? L’erreur fondamentale d’attribution, c’est donc le fait d’attribuer des causes internes aux comportements des autres en occultant les causes externes, tout en s’attribuant à soi-même davantage de causes externes pour nos propres comportements que celles internes.
L’effet de halo : « Cette personne est vraiment très belle, elle doit certainement être brillante… ». Les études sur cet effet ont démontré qu’une personne perçue comme plus attirante, sera également perçue comme plus intelligente, plus amicale et plus drôle.3 Le fait d’être perçu·e comme plus attirant·e permet également d’accéder davantage à l’emploi que le fait d’être perçu·e comme repoussant.e.4 Pire encore, le fait d’être perçu·e comme repoussant·e est souvent associé à une perception de mauvaise santé.5 L’effet de halo consiste ainsi à juger plus positivement les caractéristiques d’une personne en raison d’un jugement préalablement positif sur une autre caractéristique de cette personne et ce, sans même avoir d’informations sur ce sujet.
Des biais qui nous poussent à l’inertie en matière de changements de comportements écologiques
Le biais d’optimisme spatial : C’est le fait d’évaluer les problèmes écologiques comme étant plus graves à une échelle globale que locale. Cette évaluation inexacte est notamment liée au cadrage des informations médiatiques qui présentent davantage ces problèmes à une échelle macro qu’à l’échelle de votre ville. Également, d’un point de vue de l’individu, son lieu de vie fait généralement partie de sa perception de soi. Ainsi, tout comme il est motivé à rester cohérent dans sa consistance de soi positive (voir l’article sur le rapport de l’ADEME pour une définition du concept6), il aura tendance à minimiser les problèmes qui se situent autour de lui.
Le biais de pessimisme temporel : Il est extrêmement lié au biais d’optimisme spatial. Il s’agit du fait de penser que notre environnement sera encore plus pollué dans le futur, tout en minimisant les effets de la pollution aujourd’hui. Il est lié de la même manière que le biais d’optimisme spatial avec une tendance à la consistance du soi.
Le biais du temps présent : C’est le fait de préférer régler un petit risque à court terme, plutôt qu’un risque majeur à long terme. Comme nous le disions dans l’article sur l’intérêt du Collectif Vert en entreprise7, nous avons du mal avec la possibilité de ne pas voir les bénéfices directs d’un comportement ce qui rend difficile les changements qui auront un impact dans plusieurs années.
Quelques angles morts de l’approche par les biais cognitifs
Maintenant que vous avez davantage conscience de l’existence de vos propres biais, pouvons-nous dire que tendre à tout prix vers la rationalité pure est un projet vain ? En effet, c’est finalement assez facile d’en prendre conscience au travers d’un article que l’on peut lire tranquillement dans son coin. En revanche, si l’on se remet davantage en contexte réel, nous sommes régulièrement soumis.es à une « pression à l’inférence » qui nous pousse à prendre des décisions de manière très rapide et donc soumises à ces biais. Même lorsque nous disposons de suffisamment de temps pour prendre une décision, cela peut s’avérer extrêmement complexe, puisque personne n’est réellement capable de raisonner selon un ratio bénéfice-coût purement objectif. En plus de cela, l’approche de la psychologie par les biais cognitifs prend difficilement en compte les aspects contextuels et émotionnels des décisions alors que ces aspects peuvent parfois nous pousser à choisir de façon plus pertinente.
Autrement dit, il est important d’avoir conscience de l’existence de ces nombreux biais cognitifs lorsque l’on raisonne, afin de rester le plus ouvert possible à toute idée nouvelle. Mais il peut s’avérer tout aussi intéressant de ne pas se couper de ses émotions qui peuvent aussi nous pousser vers des comportements ou des décisions adaptées.
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Cédric THIERS, Psychologue Social
Sources :
1 Toscani, P. (2019). Les biais cognitifs : entre nécessité et danger. Futuribles, 428, 73-80. https://doi.org/10.3917/futur.428.0073
2 https://fr.wikipedia.org/wiki/Biais_cognitif
3 Moore, F. R., Filippou, D., & Perrett, D. I. (2011). Intelligence and attractiveness in the face: Beyond the attractiveness halo effect. Journal of Evolutionary Psychology, 9(3), 205-217.
4 Shahani-Denning, C. (2003). Physical attractiveness bias in hiring: What is beautiful is good. Hofstra Horizon, 14-17.
5 Rhodes, G., Yoshikawa, S., Palermo, R., Simmons, L. W., Peters, M., Lee, K., … & Crawford, J. R. (2007). Perceived health contributes to the attractiveness of facial symmetry, averageness, and sexual dimorphism. Perception, 36(8), 1244-1252.