Comment communiquer efficacement en matière de changement environnemental ?
Le rôle de l’émetteur.trice, des émotions et de la motivation
« Tu me dis, j’oublie. Tu m’enseignes, je me souviens. Tu m’impliques, j’apprends. » – Benjamin Franklin
Vous connaissez très probablement cette citation, largement reprise dans bon nombre de formations ou dans le domaine de l’éducation pour justifier le format d’ateliers plutôt que de conférences. Pourtant, savez-vous qu’elle n’a jamais été écrite ni même prononcée par Benjamin Franklin ? ¹ Elle est en réalité due à un penseur chinois du IIIème siècle av J-C , Xun Kuang mais n’a jamais été prononcée en ces termes. La citation réelle était :
« Ne pas l’avoir appris n’est pas aussi bien que l’avoir appris ; l’avoir appris n’est pas aussi bien que l’avoir vu mis en œuvre ; l’avoir vu n’est pas aussi bien que le comprendre ; le comprendre n’est pas aussi bien que le faire. »
Maintenant que nous avons rendu à César ce qui était à César, que faire du fond de cette phrase qui semble largement convenu pour tout le monde ? En réalité, c’est bien plus compliqué que cela…
Cette idée est fondée sur la théorie du cône de l’apprentissage attribuée à Edgar Dale sur la base de ses travaux en 1946 et qui postule que nous serions capables, 24h après un cours, d’en retenir 10% lorsque nous le lisons, 20% lorsque nous l’entendons et le lisons, 50% dans le cadre de discussions, 75% en le pratiquant et 90% en l’enseignant à d’autres.
Edgar Dale n’a pourtant jamais réalisé de tels travaux. A l’origine, il s’agissait simplement d’une classification non-hiérarchique de différentes expériences vécues allant d’expériences concrètes à d’autres, plus abstraites, sans aucun pourcentage. La manière dont nous sommes arrivés à cette classification hiérarchique de l’apprentissage aujourd’hui reste cependant assez floue.
La vérité, c’est en fait que les chercheurs et chercheuses ont déjà largement remise en cause cette théorie, et ce, pour plusieurs raisons. La première est triviale, mais comment est-il possible d’obtenir des pourcentages aussi ronds et parfaits ? Également, sur quelle base ces pourcentages sont-ils obtenus ? Le contenu à apprendre est-il toujours exactement le même ? Sous quelle forme les informations sont-elles restituées par les participant.e.s ? Quel âge ont ces participant.e.s ? Le niveau de connaissance du contenu à apprendre est-il contrôlé et en tout point similaire entre tous.tes les participant.e.s ? Beaucoup de questions sans réponses étant donné que nous ne savons pas réellement d’où provient cette théorie… D’autres études ont même en réalité prouvé que cette conceptualisation ne reposait sur rien de concret, étant donné que chaque support d’apprentissage pouvait en fait être efficace dans certains contextes. ², ³, 4, 5, 6, 7
De l’importance du lien avec l’émetteur ou l’émettrice de la communication
Dans notre article précédent présentant différents biais cognitifs auxquels nous sommes tous.tes soumis.e.s, nous présentions notamment l’effet de halo qui consiste à attribuer des qualités à une personne allant dans le sens d’autres qualités que nous avions déjà identifié chez elle. Dans le cadre d’une communication ayant pour but de convaincre sur l’importance d’agir en faveur du climat, il n’est pas à négliger. Selon un article sur le sujet basé sur différentes études, 3 paramètres sont importants à prendre en compte concernant cet émetteur ou cette émettrice. Cette personne doit avoir une crédibilité auprès de son auditoire, donc être un enseignant, un formateur ou un spécialiste de la question. Le contenu de sa communication doit également être vulgarisé, simple d’accès et illustrer par des exemples qui suscitent l’émotion (point qui sera développé dans la partie suivante) afin de ne pas perdre l’attention de l’auditoire. Enfin, et afin d’avoir davantage d’impact encore, il est important de pouvoir identifier dans l’auditoire les personnes qui soit ont un réseau développé permettant d’essaimer la démarche au plus grand nombre, soit ont la capacité d’identifier rapidement des solutions aux problèmes écologiques, soit celles qui pourraient rendre les questions écologiques séduisantes. 8
Susciter différentes émotions pour différents effets
Plus que le support de communication, c’est finalement le contenu de la communication qui peut jouer un rôle dans l’apprentissage et par voie de conséquence, dans l’adoption de comportements pro-écologiques. En psychologie sociale, les émotions peuvent être définies comme des phénomènes physiologiques qui s’accompagnent de phénomènes cognitifs et mentaux. Elles ont également une visée expressive, motrice et sociale et nous poussent donc à agir et à exprimer quelque chose. Elles varient en termes de valence hédonique (positive ou négative) et d’intensité. 9,10 Nous nous attarderons ici principalement sur 4 émotions : la peur, la colère, l’empathie et la culpabilité.
La peur, dans la littérature, aurait davantage tendance à inhiber de potentiels comportements en faveur de l’écologie et à pousser à l’inertie. Faire peur peut à la fois entrainer un déni de la réalité écologique, la personne agissant alors comme si celle-ci n’existait pas ou bien un sentiment de découragement et de défaitisme. Il est finalement assez peu recommandé d’y avoir recours dans le cadre d’une communication sur le sujet. 11
La colère a, quant à elle, des effets différents selon la cible de cette émotion. Si celle-ci est dirigée envers les mesures écologiques, elle risque de créer une forme de réactance (un mécanisme de défense psychologique)(cf : notre article précédent sur les biais cognitifs 12) et donc une volonté d’agir de manière antiécologique. Si elle est en revanche dirigée vers le gouvernement en estimant que celui-ci ne fait pas assez pour l’environnement, alors cette colère aura davantage pour effet de nous pousser à agir de façon pro-écologique par nous-même puisque rien n’est fait.13 Enfin, si la colère est dirigée vers une autre personne qu’on estime ne pas agir suffisamment., alors nous aurons tendance à développer une volonté de la punir. 14
Les personnes plus empathiques d’après la littérature, seraient davantage enclines à agir en faveur de l’environnement. Une étude montre également qu’en provoquant artificiellement de l’empathie envers des oiseaux ou des arbres, la volonté d’agir de manière pro-écologique sera d’autant plus importante. 15 En d’autres termes, dans le cadre d’une communication, jouer sur l’empathie de l’auditoire sera toujours une méthode efficace à la fois chez des personnes déjà empathiques, mais également chez celles qui le sont moins.
La dernière émotion que nous souhaitions évoquer, celle de la culpabilité et plus spécifiquement celle de la culpabilité collective (c’est-à-dire le fait de se sentir coupable en tant qu’individu appartenant à un pays riche par exemple), peut aussi être pertinente à mobiliser dans certains contextes. Une étude montre ainsi que les personnes chez qui on avait provoqué ce sentiment étaient également celles qui avaient adopté le plus de comportements pro-écologiques à la suite de l’étude. Ce qui est encore plus intéressant, c’est que ce sont les personnes chez qui on avait provoqué ce sentiment mais à qui on avait également présenté des conséquences mineures qui avaient le plus agit. Cela s’explique par le fait que les conséquences mineures apparaissent comme réparables contrairement aux conséquences majeures. Le sentiment de culpabilité se développe donc davantage que lorsque nous pensons que tout est déjà perdu.16
Développer la motivation intrinsèque pour faire naître du changement sur le long terme
En psychologie sociale de l’éducation, on distingue généralement deux types de motivations ayant des causes et des effets spécifiques : la motivation intrinsèque et la motivation extrinsèque. La motivation intrinsèque correspond au plaisir et à la curiosité d’apprendre pour soi tandis que la motivation extrinsèque trouve ses sources de l’extérieur comme celui d’obtenir une récompense ou de satisfaire un besoin de compétence par exemple. La motivation extrinsèque est souvent beaucoup plus développée que la motivation intrinsèque alors que c’est cette dernière qui a le plus d’influence sur le long terme.
Une étude sur le sujet a par exemple été réalisée à partir de deux groupes d’étudiant.e.s devant faire un puzzle, mais l’un de ces deux groupes était payé pour chaque puzzle terminé contrairement à l’autre. Lorsque la tâche était finie, chacun.e avait la possibilité de faire l’activité de son choix. On constate alors différentes choses. La première, c’est que les étudiant.e.s motivé.e.s intrinsèquement passaient plus de temps à réaliser le puzzle que celles et ceux qui étaient payé.e.s. La seconde est que les raisons de réaliser l’activité étaient très différentes entre les deux groupes : pour le premier, les puzzles avaient été finis par vrais intérêt, alors que pour le second, c’était simplement parce qu’ils et elles étaient payé.e.s. Enfin, on observe que plus les individus recevaient des feedbacks positifs sur leur travail, alors plus ils étaient motivés intrinsèquement. 17
Une telle étude peut ainsi donner quelques pistes pour orienter au mieux la communication et l’envie à un auditoire d’approfondir les thématiques écologiques.
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Cédric THIERS, Psychologue Social
Sources :
1 https://www.dicocitations.com/citations/citation-47335.php
2 Letrud, K., & Hernes, S. (2018). Excavating the origins of the learning pyramid myths. Cogent Education, 5(1), 1518638.
3 Lalley, J., & Miller, R. (2007). The learning pyramid: Does it point teachers in the right direction. Education, 128(1), 16.
4 Holbert, K. (2009, June). Toward eliminating an unsupported statement in engineering education research and literature. In 2009 Annual Conference & Exposition (pp. 14-1274).
6 https://voir.ca/chroniques/prise-de-tete/2014/04/16/10-de-ce-quon-lit/
7 https://par-temps-clair.blogspot.com/2018/06/la-pyramide-de-lapprentissage-un.html?m=1
8 Pruneau, D., Demers, M., & Khattabi, A. (2008). Éduquer et communiquer en matière de changements climatiques: défis et possibilités. VertigO-la revue électronique en sciences de l’environnement, 8(2).
9 Mauss, I. B., Levenson, R. W., McCarter, L., Wilhelm, F. H., & Gross, J. J. (2005). The Tie That Binds? Coherence Among Emotion Experience, Behavior, and Physiology. Emotion, 5(2), 175–190. https://doi.org/10.1037/1528-3542.5.2.175
10 Scherer, K. R. (1984). Emotion as a multicomponent process: A model and some cross-cultural data. Review of personality & social psychology.
11 Tapia-Fonllem, C., Corral-Verdugo, V., Gutiérrez-Sida, C., Mireles-Acosta, J., & Tirado-Medina, H. (2013). Emotions and pro-environmental behaviour. In Psychological Approaches to Sustainability: current trends in theory, research and applications (pp. 247-265). Nova Science Publishers, Inc…
12 https://www.oasis-environnement.org/biais_cognitifs/
13 Li, X., Liu, Z., & Wuyun, T. (2022). Environmental value and pro-environmental behavior among young adults: the mediating role of risk perception and moral anger. Frontiers in psychology, 13, 771421.
14 Harth, N. S., Leach, C. W., & Kessler, T. (2013). Guilt, anger, and pride about in-group environmental behaviour: Different emotions predict distinct intentions. Journal of Environmental Psychology, 34, 18-26.
15 Berenguer, J. (2007). The Effect of Empathy in Proenvironmental Attitudes and Behaviors. Environment and Behavior, 39(2), 269-283. https://doi.org/10.1177/0013916506292937
16 Ferguson, M. A., & Branscombe, N. R. (2010). Collective guilt mediates the effect of beliefs about global warming on willingness to engage in mitigation behavior. Journal of Environmental Psychology, 30(2), 135-142.
17 Deci, E. L. (1971). Effects of externally mediated rewards on intrinsic motivation. Journal of Personality and Social Psychology, 18(1), 105–115. https://doi.org/10.1037/h0030644