Pourquoi les femmes s’orientent davantage vers des pratiques écologiques que les hommes ?
Un lien symbolique entre féminité et nature
Gaïa, Déméter, Ala, Pachamama… Autant de figures de déesses féminines pour représenter « Mère Nature » sous forme allégorique. Dans les mythes et légendes de nombreuses cultures, la Terre a beaucoup été figurée comme une mère nourricière permettant la vie au travers de ses ressources agricoles.1 Dans la mythologie grecque
par exemple, Gaïa est celle qui engendre tout : le ciel, les montagnes, la mer et est personnifiée comme une femme. Déméter, petite-fille de Gaïa, constitue quant à elle, la déesse de l’agriculture et de la moisson.2
Qu’importe la culture, toujours des figures féminines, présentées de manière positive et bienveillante. C’est en tout cas ce que notre premier instinct nous suggère. De la même manière qu’« on ne poignarde pas sa mère, on ne lui perce pas les entrailles pour en extraire de l’or ».3 Symboliquement, il existe pourtant un revers négatif à cette allégorie.
Si l’on peut y associer un symbole de protection, nous pouvons tout aussi bien y associer un symbole de danger, nécessitant d’être combattu. Cette allégorie regorge en effet d’une idée de « guerre de l’homme contre la nature » ou de « combattre la nature pour percer
à jour ces secrets ».3 De la même manière qu’il existe une domination des hommes sur les femmes, il existe une domination des hommes sur la nature, par les symboles et dans le réel. Pour obtenir une rétribution sexuelle de la part d’une femme, tout comme pour obtenir un bien (agricole, énergétique…) de la part de la nature, il devient normal d’user de violence.
Cette analyse nous donne une première clé de lecture pour comprendre ce qui se joue dans le rapport des hommes et des femmes à l’écologie, mais elle reste largement insuffisante pour comprendre comment ce rapport genré s’exerce matériellement.
Une perspective matérialiste de l’engagement des femmes pour l’écologie : la question du travail domestique*
Si les femmes s’engagent davantage dans des comportements écologiques, c’est avant tout parce qu’elles sont davantage confrontées à ces questionnements au quotidien. En effet, le travail domestique du foyer comprenant des tâches comme les courses, la cuisine, le ménage ou le soin des enfants reste encore en grande partie à leur charge (en 2010, 64% de ce travail était réalisé par des femmes et cela n’a pas réellement évolué depuis 4,5).
L’urgence écologique se faisant également de plus en plus présente, c’est à elles qu’incombe la charge d’adopter des conduites écologiques pour toute la famille. Ce sont majoritairement elles qui font les courses et la cuisine, doivent-elles alors se tourner vers des produits bio et locaux ? Doivent-elles acheter de la viande, pourtant plus coûteuse écologiquement, ou bien privilégier des alternatives véganes ou végétariennes, et ce, alors que leurs maris sont demandeurs de viande ? (nous expliciterons ce point par la suite). Elles s’occupent également davantage des enfants. Doivent-elles alors s’orienter vers des couches lavables, préférables d’un point de vue écologique, mais beaucoup plus coûteuses en termes de temps ?
Si les femmes adoptent davantage de comportements écologiques, c’est en réalité parce qu’elles se trouvent dans une position de domination, leur demandant de s’impliquer davantage que les hommes. Elles se trouvent par ailleurs face à des injonctions paradoxales : alors qu’il est valorisé socialement de s’accomplir professionnellement en tant que femme (ce qui demande du temps), il est aussi prescrit d’être plus écolo (ce qui demande également du temps). Malgré les nombreux problèmes que posent la société consumériste actuelle, celle-ci aura au moins permis aux femmes de réduire leur temps alloué au travail domestique, de par la multiplication des robots ménagers, des plats préparés ou des produits jetables.6 Preuve en est, entre 1999 et 2010, le temps consacré au travail domestique par les femmes a été réduit de 22 minutes (il est passé de 3h48 à 3h26 par jour) alors que le temps consacré par les hommes a seulement augmenté de 1 minute (passant de 1h59 à 2h).7 On pourrait imaginer que cette inégalité s’est réduite au fil des années, mais un sondage de 2019 montre que 75% des européennes déclarent toujours en faire plus à la maison que leur conjoint.8
La centralité légitime du problème écologique actuel nécessite donc de s’interroger sur l’organisation consumériste et genrée de la société dans son ensemble et ce, à tous les niveaux.
Le point de vue de la psychologie sociale : une adhésion différenciée à la norme écologique entre femmes et hommes
Bien qu’on constate que les femmes adoptent individuellement plus de comportements écologiques que les hommes (pour les raisons évoquées précédemment), celles-ci ne s’engagent pas plus que les hommes dans l’activisme.9 Non sans prouver à nouveau que l’enjeu se situe autour de la question des conditions matérielles à la mise en place de comportements écologiques, cela pose également la question des attentes sociales différenciées entre hommes et femmes.
Nous l’avons vu, symboliquement, la nature a toujours été associée à la féminité. Par extension, la question du « prendre soin », celle du travail du care (comprenant notamment l’éducation et la santé) relève d’un champ presque exclusivement féminin. Selon un rapport de 2021, 86,6% du personnel infirmier, 97,7% des aides à domicile et 66,2% des professeurs des écoles étaient des femmes.10
Comme les femmes font davantage l’objet d’attentes sociales à l’égard de l’écologie, celles-ci se retrouvent à avoir également plus d’attitudes favorables à l’égard de l’environnement que les hommes.11 De même, on observe qu’elles adhèrent davantage à la norme écologique que les hommes, notamment parce qu’elles adhèrent aussi davantage à la norme altruiste. Cette observation ne s’explique pas parce qu’elles auraient plus conscience de l’existence de cette norme par ailleurs, puisque hommes et femmes savent autant les uns que les autres qu’être écolo est valorisé socialement.12 En d’autres termes, agir en faveur de l’écologie est aussi une question d’attentes sociales différenciées à l’égard des hommes et des femmes.
Être un homme écolo, cela ne va pas de soi : l’exemple de l’alimentation
Si nous avons mis en exergue l’existence de conditions matérielles et d’attentes sociales spécifiques à l’égard des femmes en matière de normes écologiques, il est tout aussi important de comprendre comment la domination sociale permet aux hommes de ne pas être écolos, en passant par la question des attentes sociales antiécologiques qui les concernent, attentes allant même jusqu’à être naturalisées.
Entre 1999 et 2010 l’écart moyen entre hommes et femmes passé à la cuisine a diminué de 15%, étant en 2010 de 1h14 pour les femmes contre 24 minutes par jour pour les hommes.13 Elles étaient également beaucoup plus nombreuses à y participer (82% pour les femmes contre 47% pour les hommes).13 Même si cet écart tend à se réduire, c’est en partie dû à une diminution du temps passé par les femmes qu’à une augmentation du temps passé par les hommes à accomplir ces tâches.13 Comme nous le disions précédemment, toute la charge mentale de la préparation des repas revient à la femme pour tout le foyer, et bien que l’on puisse penser que cela leur laisse la possibilité de garder pour elles-mêmes les meilleurs morceaux, il n’en n’est rien.14
L’idée reçue selon laquelle les hommes ont davantage besoin de protéines pour être en bonne santé participe en partie à cette privation de la part des femmes, alors que là encore, cet argument est en partie faux (d’autres facteurs comme la masse musculaire ou les hormones sont tout aussi important à prendre en compte). En conséquence, on note une légère disparité entre hommes et femmes dans leurs budgets respectifs consacrés à l’achat de viande (18,1% pour les femmes contre 18,4% pour les hommes, écart qui s’accentue de 2,4 points en prenant en compte la différence d’âge, le niveau de diplôme et le niveau de vie).15
D’une domination sociale des hommes sur les femmes, associée à un argumentaire essentialiste et à une association symbolique très forte de la viande avec la masculinité16, on obtient une inégalité alimentaire extrêmement forte. Les femmes font alors l’objet d’une « socialisation au sacrifice », consistant à manger moins au bénéfice des hommes de leur famille.14 Cela se retrouve également dans le temps hebdomadaire passé à réaliser du travail domestique où une femme voit passé son temps de travail domestique de 16h à 23h selon si elle est en couple ou non, tandis que dans le même temps, un homme passe 2h de moins à effectuer ces tâches selon son statut conjugal (11h seul contre 9h en couple).4
Conclusion
Au travers de différents angles d’analyse : symbolique, matérialiste et psychosocial, nous avons pu mettre en lumière différentes raisons expliquant pourquoi les femmes adoptent plus de comportements écologiques que les hommes. Nous pourrions être tenté de réduire cet état de fait à une simple question de différenciation genrée en termes d’éducation, mais cela échouerait à rendre compte des rapports sociaux de domination constitutifs de la société. L’idée d’éduquer les hommes comme les femmes pourrait aller de soi, mais qui serait à l’origine de cette éducation ? Les femmes, puisqu’elles s’occupent davantage des enfants et qu’elles s’orientent plus vers des professions éducatives. Nous l’avons vu, bien loin de considérer l’orientation des femmes vers des pratiques écologiques en termes de naturalité, nous pouvons considérer qu’elles s’y dirigent en partie parce qu’elles n’ont pas le choix, notamment puisque l’organisation sociale les y obligent. De l’autre côté, l’organisation patriarcale laisse la possibilité aux hommes (et les encourage) à ne pas agir de manière pro-écologique.
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Cédric THIERS, Psychologue Social
* Selon l’Insee, le travail domestique inclut : « cuisine, ménage, courses, soins aux enfants ou aux personnes âgées » et se définit selon 3 critères : « être productif, non rémunéré et pouvoir être délégué à quelqu’un d’autre »4
Sources :
1 https://fr.wikipedia.org/wiki/M%C3%A8re_Nature
2 https://fr.wikipedia.org/wiki/Ga%C3%AFa
3 Larrère, C. (2012). L’écoféminisme : féminisme écologique ou écologie féministe. Tracés. Revue de sciences humaines, (22), 105-121.
4 https://www.insee.fr/fr/statistiques/2123967
5 https://www.insee.fr/fr/statistiques/6477736
6 Lalanne, M., & Lapeyre, N. (2009). L’engagement écologique au quotidien a-t-il un genre 1?. Recherches féministes, 22(1), 47-68.
9 Zelezny, L. C., Chua, P. P., & Aldrich, C. (2000). New ways of thinking about environmentalism: Elaborating on gender differences in environmentalism. Journal of Social issues, 56(3), 443-457.
11 Plavsic, S. (2013). An investigation of gender differences in pro-environmental attitudes and behaviors.
12 Félonneau, M. L., & Becker, M. (2008). Pro-environmental attitudes and behavior: Revealing perceived social desirability. Revue internationale de psychologie sociale, 21(4), 25-53.
13 Fouquet, A. (2019). Quand les hommes cuisinent au quotidien : Vers la « masculinisation » d’une pratique domestique. Terrains & travaux, (2), 161-182.
14 Fournier, T., Jarty, J., Lapeyre, N., & Touraille, P. (2015). L’alimentation, arme du genre. Journal des anthropologues, 140(141), 19-49.
15 https://www.insee.fr/fr/statistiques/6047765?sommaire=6047805
16 Soumis, J. (2023). Masculinité (s) et véganisme : la viande a-t-elle un genre ?